Je vous invite à découvrir le premier chapitre du roman pour vous donner un aperçu du style et de l'atmosphère du livre.

Bonne lecture ! - Frédéric Aglaé



CHAPITRE 1

La sonnerie du collège retentit, en moins d’une minute les premiers élèves commencent à sortir de l’établissement, dans le célèbre brouhaha signifiant la fin des cours.

Alix Yaffa est un petit métis café crème entre l’enfance et l’adolescence. Élève en 5eB, il est du genre discret, d’une part de son éducation et d’autre part, de son physique pas très imposant. Il porte souvent des survêts plus trop à la mode et déjà bien usés à quelques endroits. Ses chaussures de marque Joker quant à elles, sont tout aussi usées. Ce ne sont pas des Nike Air, et son style vestimentaire provoque des sourires moqueurs. Son cartable en cuir, des années 80, fait tache dans le décor au milieu des autres élèves un peu plus à la mode mais Alix n’a pas d’autre choix que d’être philosophe et de faire avec.

Il marche nonchalamment, la clef de chez lui pendouillant au bout d’une ficelle accrochée à son cou. Il passe les grilles du collège pour se retrouver dans la rue. Deux élèves, plus âgés que lui, viennent à sa rencontre. Le premier, un grand plutôt mince, lui lance « Eh ! T’as pas une clope ? ». Alix leur répond gentiment qu’il n’a que 13 ans. Arrivé à son niveau, le deuxième, un peu plus petit mais bien plus épais, met un taquet sur l’arrière du crâne d’Alix en lui balançant qu’à 10 ans il fumait déjà. Alix se rebelle en leur disant d’aller se faire enculer et en les traitant de bâtards. Malgré sa petite taille et son côté renfermé, Alix a toujours essayé de ne pas se faire marcher sur les pieds, surtout par des plus grands.

Le costaud l’attrape au col et essaye de le soulever. Alix, qui se démène tant bien que mal, arrive à se défaire de la prise. Mais le balaise reste quand même accroché à la clef, qu’il se met à tirer vers lui. L’enfant continue de s’agiter comme un poisson frétillant au bout d’une ligne mais la ficelle commence à lui scier la nuque. Il finit par se baisser pour se libérer de son piège. Le grand récupère la clef, toujours au collier de fortune, de la main de son pote. Il commence à la faire tourner au dessus de sa tête en narguant le gamin.

Alix le supplie de la lui rendre, en expliquant qu’il va se faire engueuler s’il perd sa clef, tout en essayant d’attraper l’objet tournoyant, en sautant le plus haut possible.

Mais sans résultat.

         - T’as combien d’argent sur toi ? demande le grand en continuant à faire Thierry La Fronde.

Alix répond qu’il n’a rien et que sa mère n’a pas une thune. Le grand con lâche la ficelle et la clef s’envole dans les hauteurs de quelques sapins qui se trouvent le long de la rue. Alix court pour la rattraper ou, tout du moins, essayer de voir le point d’impact. Les deux emmerdeurs continuent leur chemin en se marrant et délirant sur leur victime.

Des coups de pieds par-ci, des coups de pieds par-là, Alix cherche au milieu des épines de pin sèches qui recouvrent le sol. De temps en temps, il relève la tête dans l’espoir de voir un objet brillant dans les branches.

Mais sans résultat.

Il continue ses recherches mais la nuit tombe vite en hiver. Et arrive un moment, où dans le noir, il faut se faire une raison.

Alix sait déjà ce qui va l’attendre en rentrant. La régie des HLM du quartier demande des sommes exorbitantes pour faire un double de ce genre de clefs spéciales pour portes blindées. Sa mère lui expliquera encore la valeur des choses. Elle lui fera un cours sur combien d’heures de travail il faut pour payer un mois de loyer ou un paquet de gâteaux. Et la sempiternelle question « Qu’es-tu prêt à faire pour mériter la nourriture que je te donne ? Vaisselle ? Ménage ? Cuisine ? ». Mais en général, ce genre d’action n’arrivait qu’en période de crise.

Malheureusement pour Alix, la clef perdue, d’une valeur de 300 francs, annonce l’arrivée d’une de ces périodes.

Alix arrive à son étage, il est tout essoufflé par les escaliers Il cogne volontairement sa tête contre la porte, tout en appuyant plusieurs fois sur la poignée. Il jette son cartable sur une marche de l’escalier puis atterrit dessus. Il appuie sa tête contre le mur. En peu de temps, il s’endort.

Un peu d’agitation remonte de l’escalier. Sophie arrive les bras chargés de sacs de courses. La quarantaine, une allure de femme négligée qui ne fait pas attention à elle. Pas de maquillage et pas de contact avec un vrai coiffeur depuis bien longtemps. Quant à ses vêtements, que ce soit sa veste, son pantalon ou son sac à main, ils sentent la récup à plein nez.

En voyant Alix, elle lui demande ce qu’il fait là et surtout d’ouvrir la porte, parce que les sacs lui font mal aux mains. Il répond qu’il n’a pas sa clef. La mère pose toutes les courses sur le palier d’à peine deux mètres sur deux. Elle regarde son fils dans un silence inquiétant après le fracas des provisions sur le sol. Alix ne sait pas où se mettre. Sophie rompt enfin le calme en expliquant posément :

         - Tu sais combien elles coûtent ces clefs !... Eh ben si t’en veux une, tu te la payes, sinon tu te débrouilles ! Comme ça tu apprendras enfin la valeur des choses !

Alix a beau clamer que ce n’est pas de sa faute, sa mère ouvre la porte de son foyer sans faire cas des explications de son fils.

 

Devant la porte de chez lui, sur son siège improvisé, Alix est en train de réviser son cours de géographie, quand il entend quelqu’un monter. Il retire son livre de la marche d’escalier, pour libérer le passage en prévision. Un homme arrive à son niveau mais le regarde à peine. Il tape chez le voisin d’Alix. La porte s’ouvre et l’homme entre. L’enfant reprend ses devoirs. Il est de nouveau distrait par la porte qui se rouvre. L’homme ressort, il n’est resté qu’une dizaine de minutes. Avant de refermer sa porte, Chris, le voisin, fait un signe de tête en direction du collégien, en guise de reconnaissance. Un peu plus tard, le même manège se produit. Et ainsi de suite, trois quatre fois dans le début de soirée, des personnes rendent visite à Chris. Certains restent plus longtemps que d’autres, mais aucun n’excède une heure.

A chaque fois que Chris ouvre la porte, Alix en profite toujours pour jeter un coup d’œil dans l’entrebâillement afin d’apercevoir l’intérieur de l’appartement. Des équipements audio et vidéo dernier cri et une Playstation qui le font forcément rêver. A chaque fois, Chris le sort de ses rêveries en se mettant dans son champ de vision, en lui rappelant que s’il veut tout ça, il faut qu’il travaille dur à l’école.

 

En rentrant du collège, Alix fait toujours un détour par le centre commercial du quartier. Il aime passer à côté de la boulangerie. L’odeur du pain chaud lui remplit les poumons à défaut de lui remplir le ventre. De temps en temps, il s’arrête devant la vitrine pour regarder les pâtisseries que sa maman refuse d’acheter. Parce que « ça coûte bien moins cher de les faire soi-même ! »… Encore faut-il les faire.

Alix a souvent des pincements au cœur quand il voit les parents de certains camarades venir en voiture, les chercher à la sortie. Et avec un goûter en plus.

Alors, quand il accompagne sa mère pour faire les courses, Alix demande s’il peut avoir des gâteaux pour après l’école. Et à chaque fois, c’est toujours la même réplique qu’il arrive à connaître par cœur.

         - T’as faim en sortant de l’école ? C’est que t’as pas assez mangé à la cantine. Je t’ai déjà dit de prendre du pain et d’en ramener pour la maison !

Piquer du pain. Et pourquoi ne pas emmener des boîtes pour récupérer les restes des autres élèves.

Alix n’a peut-être pas la notion de l’argent mais Sophie n’a pas la notion d’être collégien dans les années 90.

 

Un jour, alors qu’Alix est en plein exercice de biologie sur son siège carrelé, la porte du voisin s’ouvre pour laisser sortir une femme magnifique et très distinguée. Elle embrasse langoureusement Chris puis en faisant un signe de tête pour désigner Alix, lui dit d’en proposer au petit. Puis elle part. Ses talons claquent sur les marches au fur et à mesure de la descente.

Les deux garçons écoutent le son s’éloigner. Chris, encore rêveur, affirme qu’il adore ce bruit. L’enfant lui sourit. Chris lui demande s’il a faim. Alix répond par l’affirmative. Chris rentre chez lui en invitant le gamin à le suivre.

Alix traverse l’appartement propre et décoré avec goût. Des peintures à effets sur les murs, des meubles modernes en harmonies avec l’ensemble et surtout des luminaires aussi classieux que dans un hôtel quatre étoiles.

Ils arrivent dans la cuisine, toute équipée, où sont disposés sur la table en verre, deux pots de confiture, un pot de Nutella, du sucre en poudre et une assiette de crêpes. Chris lui ordonne de s’installer et de manger. L’enfant ne se fait pas prier. C’est probablement la première fois qu’il a droit à un vrai goûter.

Chris a une trentaine d’années, grand, à la carrure imposante, il est le genre de gars qu’on écoute quand il parle. Une fois, Alix l’a vu engueuler un de ses potes, parce qu’il parlait trop fort dans l’escalier. Le visiteur, pourtant d’une allure pas commode, s’est excusé comme un enfant après sa réprimande. Un tel charisme n’a pu qu’impressionner l’adolescent.

         - Aaaah… Sabrina, elle est trop gentille… lance Chris toujours sur son nuage. Sur tous les plans, rajoute-t-il.

         - C’est ta copine ? interroge Alix.

         - C’est une copine ! Une très très bôôôôônne copine !... Elle fait de très bonnes crêpes aussi, finit-il avec un petit sourire en coin.

Alix acquiesce la bouche pleine.

         - Elles sont bonnes ?

Alix acquiesce encore une fois en s’essuyant vaguement la bouche et en lançant un « oui » étouffé.

         - Pourquoi t’attends sur le palier quand tu rentres de l’école, tu faisais pas ça avant ?

         - J’ai perdu ma clef répond l’enfant tout penaud.

         - Les doubles, ça existent

         - C’est 300 francs.

         - Et alors ?

         - C’est trop cher, ma mère elle peut pas !

         - Elle rentre à quelle heure le soir ?

         - Vers 19h.

Chris marque un temps de réflexion, puis propose :

         - Tu veux les faire ici tes devoirs ?

         - Pourquoi ?

        - Quoi pourquoi ? J’ai un élan de gentillesse qu’est ce qui t’arrive ? s’emballe Chris. Retourne dans tes escaliers, moi je m’en bats les couilles ! Tu me fais pitié c’est tout !

         - Pardon dit-il en baissant les yeux.

        - Ben non, t’excuse pas en plus !... Bon ça te branche ou pas ?... Et quand tu auras fini tes devoirs, on jouera à la Playstation si tu veux.

Alix acquiesce avec un sourire benêt et les yeux tout brillants.

 

Depuis ce jour, Alix presse le pas en sortant de l’école, il est dans les premiers à franchir la grille. Il ne fait même plus le détour pour les senteurs de la boulangerie. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse grand soleil, Alix n’a qu’une idée en sortant à 16h30, arriver chez Chris au plus vite, finir ses devoirs au plus vite, pour profiter de la console au plus vite.

Tekken, Destruction derby, Wipe Out, Alix s’éclate sur des jeux en 3D alors qu’il n’a même jamais connu les consoles en 2D.

Chris, assis dans son fauteuil, en train d’allumer le joint qu’il vient de rouler sur la table basse, s’acharne à lui expliquer que les jeux d’avant n’étaient pas pareils.

         - … La super Nintendo, t’as pas connu non plus, y avait Mario… y avait Street Fighter… putain, c’était mortel Street fighter. Mais y avait pas la profondeur, comme dans Tekken, tu vois ce que je veux dire…

Alix, absorbé par la console, tourne la manette dans tous les sens comme pour aider sa voiture à mieux tourner.

        - …c’était juste gauche droite, tu vois, c’est tout…

        - La putain de sa mère, lâche Alix à fond dans Ridge Racer.

        - …tu pouvais pas pivoter tu comprends ? C’était de la 2D ! Tu vois quoi ! Mais c’était bien aussi ! Je la kiffais ma Super Nintendo !

Chris attend une réaction d’Alix mais se rend compte que le môme est vampirisé par sa course.

         - Ouais ! Tu m’écoutes pas en fait !

         - Mais si mais si… mais là j’suis premier sa mère ! crache vulgairement le gamin pour accentuer sa phrase.

         - Mais tu t’entends parler bordel ?

         - Quoi ? Vas-y t’es pire que moi quand tu joues… et quand tu joues pas aussi.

        - Ouais mais c’est ma console… on est chez moi… et je t’emmerde p’tit con ! C’est pas parce que je fais ou dis des trucs qu’il faut faire pareil, ok ?

         - Ouais, ouais… dit-il toujours dans son jeu.

         - Bon allez, tu finis ta course et tu vas attendre ta mère dans le couloir, ça va être l’heure… Au fait, pourquoi tu veux pas lui dire que tu viens ici après l’école ?

         - Parce que je suis sûr qu’elle sait ce que tu fais et j’ai pas envie qu’elle m’interdise de venir.

         - Tant qu’elle vient pas me casser les couilles ou m’accuser de te tripoter, tu fais bien comme tu veux.

Alix pose la manette sur le canapé où il était assis. Récupère son cartable. Fait un tchek à Chris. Et se dirige vers la sortie en le remerciant pour tout.

Chris le retient verbalement.

         - Eh ! Attends ! Ça veut dire quoi elle sait ce que je fais ? C’est quoi, ce que je fais ?

         - On habite en face ! Faut pas nous prendre pour des teubés.

         - C'est-à-dire ?

       - Ça sent le shit à fond sur le palier. Mon père me faisait des soufflettes quand j’étais petit, pour que je dorme mieux. Donc si je connais l’odeur, ma mère la connaît aussi. Et si tu rajoutes à ça, tous les gens qui viennent te voir…

         - Quoi ? J’ai pas le droit d’avoir des amis ?

      - Des amis qui passent te voir que cinq minutes… j’suis peut-être pas un vieux singe mais je sais faire des grimaces.

Alix tire la langue et fait un clin d’œil à Chris. Il lui lance « A demain » avant de sortir de l’appartement.

Chris reste assis à fumer son joint. La télé Sony, 82 cm, coins carrés, affiche le résultat de la course d’Alix.

 Number one.

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